Le 5 septembre 2004 à Solomiac...


Dimanche 5 septembre 2004. Avertie par mail de la prochaine action des Faucheurs volontaires anti-OGM dans le Gers, j’hésite encore à participer à l’action. Se faire entendre en menant des actions illégales ne m’emballe pas. Par contre, la notion de désobéissance civile trouve en moi depuis plusieurs mois un écho favorable. Enfreindre la loi en l’annonçant à l’avance, à visage découvert et en acceptant les conséquences, correspond bien à cette idée de résistance collective qui me semble devenir de plus en plus indispensable dans une société où les valeurs de la vie et de la liberté ne sont plus respectées.

Dimanche fin de matinée, je me décide à aller au rassemblement prévu à 14h à Auch. Pour le fauchage, rien n’est moins sûr encore… En une heure de temps, la place devant la Maison des Ensemble se remplit pour devenir noire de monde. Enfants, adultes, jeunes, plus âgés, plusieurs centaines de personnes sont regroupés, malgré la chaleur. Premiers discours de personnalités syndicales ou politiques rappelant l’acte illégitime du gouvernement à autoriser la culture de plantes OGM alors qu’une grande majorité de la population s’oppose à la consommation de ces produits. Appel péremptoire également à la non violence. La cible, ce sont les plants de maïs, pas les forces de l’ordre. Et puis, qui, en ce dimanche estival aurait la moindre envie de déclencher les hostilités sachant que les actions précédentes (en Auvergne et en Haute-Garonne) se sont déroulées dans la bonne humeur et sans heurts ? Un clin d’œil à la parité, en rappelant qu’aucune arrestation féminine n’avait eu lieu jusqu’ici, et voici que les femmes sont invitées à passer devant.

Portée par la foule, je fais finalement partie du convoi automobile qui se dirige vers Solomiac. La file de voitures est impressionnante, on n'en aperçoit ni le début ni la fin. Arrivés sur place nous empruntons à pied la route qui nous mène vers le champ d’action. Deux camions de gendarmerie mobile tentent de passer à travers la foule. Aussitôt des hommes se mettent devant puis tout le monde s’assoit devant les fourgons, contraints alors d’éteindre leur moteur. Nous repartons tranquilles, joyeux, en route vers un après-midi festif. Tout au long du chemin, un hélicoptère nous accompagne, tournant et retournant au-dessus de nos têtes. Il n’est pas difficile bientôt d’identifier le champ qui est l’objet de notre destination. Des fourgons de l’armée et de la garde mobile sont sur place. Cinq, six, puis très vite on en décompte une bonne quinzaine. L’inquiétude commence à entacher mon allant. A Verdun-sur-Garonne, il n’y avait pas tout cela, pourquoi un tel arsenal ici ? La foule ne semble pas plus inquiète et poursuit, sans faiblir, femmes devant, l’approche de la parcelle identifiée.

Les premiers faucheurs sont à peine arrivés aux barrières que des détonations dignes d’un feu d’artifice se font entendre de tous cotés, tandis que les gaz lacrymogènes forment un épais brouillard et font reculer la foule asphyxiée. L’hélicoptère au-dessus de nos têtes nous bombarde littéralement de grenades. J’entends les cris et les pleurs des enfants, les yeux et la gorge meurtris par les gaz et terrorisés par la situation. Les parents tentent de les rassurer tant bien que mal et les ramènent vers l’arrière. La fête est finie.

Retrouvant la vue et la respiration, nous retournons vers le champ, plus éparpillés, en tentant de le contourner. Les grenades se succèdent. Je croise une femme, le visage, les mains et les habits en sang. Elle a reçu un éclat de grenade sur la tête. Peu après, c’est un jeune homme de vingt ans qui exhibe des plaies aux jambes et aux bras. Nous les incitons à aller se faire soigner et faire notifier leurs blessures par les pompiers présents sur place…avant même notre arrivée.

L’accueil musclé qui nous est réservé conforte les plus vaillants dans leur tentative de dépasser les barrières pour tenter d’arracher des pieds de maïs. C’est sans compter sur les coups de matraque qui, à leur tour, se mettent à pleuvoir.

Face à la non violence des faucheurs, la situation se calme peu à peu, chacun des cotés (faucheurs et forces de l’ordre) ne se quittant pas des yeux. L’éloignement de l’hélicoptère (manque de carburant ?) contribue aussi à un retour au calme. Les premières rumeurs nous parviennent comme quoi trois personnes (syndicaliste et politiques, dont une femme cette fois-ci !) se seraient fait arrêter, puis peut-être emmenés à la gendarmerie de Mauvezin. Par la suite, on apprend que d’autres personnes ont également été arrêtées, sans savoir exactement combien. Stationnés sur un des côtés du champ pour empêcher les fourgons de la gendarmerie mobile de repartir avec les militants interpellés, nous sommes une trentaine à attendre les nouvelles « du front ». De temps en temps, des grenades éclatent à nouveau, précédés de mouvements de foule et de sifflements. Parfois, des épis de maïs se mettent à bouger et nous signalent qu’un courageux a réussi malgré tout à s’introduire dans le champ. Mais nos rires s’arrêtent vite en entendant les cris provoqués par les coups de matraque.

Deux, trois heures se passent ainsi. Finalement, en fin d’après-midi, les forces de l’ordre relâchent un à un tous les militants arrêtés. Nous pouvons alors repartir en direction de la gendarmerie de Mauvezin où les trois premiers interpellés, en tant que témoins (!), viennent eux aussi d’être relâchés.

Un dernier point est fait avant l’éparpillement général pour dénoncer l’inadmissible violence dont ont fait preuve les forces armées, sur ordre du préfet, et l’illégalité de leur action en tirant à bout portant des grenades lacrymogènes sur la foule. Un premier communiqué des pompiers fait état d’une soixantaine de blessés parmi les faucheurs et de deux parmi les forces de l’ordre, blessés par leurs propres grenades, tandis que la préfecture en annonce deux de chaque côté !

Quatre jours ont passés depuis dimanche. J’ai guetté le compte-rendu de l’après-midi sanglante dans les journaux télé et radio et je n’ai pu constater que l’actualité sarkhozienne à l’Université d’été en Gironde était prioritaire et plus importante que le fait de tirer à bout portant avec des grenades lacrymogènes sur 600 personnes (dont de nombreux enfants) et de blesser 60 personnes.

La Résistance, disait Lucie Aubrac, est nécessaire sitôt qu’on constate une injustice et que rien n’est fait pour la réparer. Nous avons bien des raisons, dès lors, d’entrer en résistance. Résistance face à un pouvoir aveugle et sourd, résistance face à une presse assujettie à l’audimat, résistance face à notre aveuglement quotidien.

09/09/2004